MOUVEMENT NOIR NATIONAL NE RESPECTE PAS LES DIFFÉRENCES *
Aucides Sales

J'ai recontré en 1982 l'artiste plastique José Maria Paixão, un militant du mouvement noir de Rio de Janeiro qui se consacrait à l'étude de la langue nago, des ethnies et de l'ouvrage de [l'écrivain mulâtre] Lima Barreto. Aujourd'hui, en contact avec des militants du mouvement noir [1] national attaché à l'organisation noire Kilombo, de l'État de Rio Grande do Norte, je remarque son changement et je suis horrifié par les contradictions de son discours.

Actuellement, je ne vois pas dans le Mouvement Noir la moindre préoccupation d'une quelconque étude de la culture noire sinon de l'application de la loi anti-racisme (pour cela, l'organisation Kilombo a un service téléphonique dénommé disque-racismo), de l'obtention de privilèges pour les Noirs et d'une tentative désespéré de convaincre l'opinion publique que le Brésil n'est plus un pays indigène mais un pays noir - le plus grand du monde, le Nigéria mis à part - vu que 45% de notre population descendent d'Africains, comme l'affirme l'assistente social Elisabeth da Silva dans son carnet "Dito e Feito numéro 5", éditée à travers le mandat populaire du conseilleir municipal Fernando Mineiro, basée sur les donnés de la PNAD [Recherche Nationale par Échantillion de Domiciles] de 1998.

Je regrette, mais je dois contester l'affirmation de l'assistente sociale, car en consultant le document cité ci-dessus, relatif à la période de 1992-1999, j'ai retrouvé un total de 5,4% de pretos[2] ,d'où on déduit que Senhora Elisabeth a ajouté les pardos[3] aux pretos. Cette attitude de l'assistente sociale se base sur une prétention du Mouvement Noir, déjà comprise dans le Programme National aux Droits de l'Homme [PNDH-I], publié par le Sécrétariat d'État aux Droits de l'Homme, attaché au Ministère de la Justice. Dans l'article relatif au droit au traitement égalitaire conforme à la loi, le septième point concernant la population noire propose de "déterminer à l'IBGE [Institut Brésilien de Géographie et Statistique] l'adoption d'un critère considérant les mulâtres, les pardos [4] et les Noirs comme partie intégrante de la population negra".

Cette détermination absurde n'a heureusement pas encore été accomplie par l'IBGE, mais l'assistante sociale Elisabeth da Silva chante victoire avant le résultat de la consultation publique, réalisée par le Ministère de la Justice jusque début janvier 2002, sur les propositions pour le Programme National aux Droits de l'Homme [5]. Quelle est la base scientifique de cette prétention du Mouvement Noir, qui agit comme s'il n'existaient que deux groupes, le blanc et le noir, formant la population brésilienne? Il est incontestable l'existence d'Indients et de leurs descendants dans la population brésilienne, qui est composée par trois matrices différentes [6].

Les critères pour la détermination de la couleur pendant l'enquête de l'IBGE sont démocratiques, c'est-à-dire, c'est l'interviewé qui détermine sa propre couleur, en choississant les options branco [blanc], preto, pardo, indígena ou amarelo [jaune]. Les descendants d'Indiens croisés avec des Blancs et des Noirs sont indiscutablement considérés comme pardos car ils ont la peau foncée. Cependant, ils ne sont pas tant afro-descendants que descendants de toutes les matrices, ce qui ne confère à aucun groupe le droit de se déclarer détenteur exclusif de l'origine des pardos. Réclamer ce droit signifie-t-il "respecter les différences", comme l'organisation Kilombno dit être un de ses buts? Ou fortifier les liens de solidarités (autre but de Kilombo) suppose-t-il la négation de recherches comme ["Retrato Molecular do Brasil"], réalisée par le Docteur Sérgio Danilo Pena à la UFMG [Université Fédéral de Minas Gerais] et publiée par la révue Veja [7] en décembre 2000, pour forger une fausse réalité en sa faveur?

Si l'on prend en considération les critères de l'IBGE, les résultats montrent que les prétentions du Mouvement Noir, qui se proclame la majorité, ne sont pas fondées. D'autre part, même dans le groupe des pretos la recherche du Docteur Pena accuse l'existence d'à peine 40% d'individus qui peuvent être vraiment classifiés comme tels. Dans le groupe des pardos, les pretos occupent une proportion de 29% seulement, contre 35% qui sont le résultat du croisement d'Indienne avec Blanc et le reste est le résultat du mélange des trois matrices.

Nier l'existence de descendants d'indigènes dans notre population est une erreur grossière qui peut coûter cher à l'image du Mouvement Noir qui, en niant la participation des indigène à la formation du groupes des pardos, ignore les différences existantes au sein de ce groupe et passe dans l'histoire comme un groupe de trompeurs et d'usurpateurs d'un espace que la logique réserve aux premiers habitants de ce continent. Les indigènes ont contribué avec 36% des mères qui ont donné naissance au peuple brésilien [8]. Selon l'étude du Docteur Pena, les matrilignages noirs ne représentent qu'un total de 27% [9]. C'est-à-dire, la contribution des mères noires est plus petite [10] puisque les pères sont presque exclusivement Blancs et la contribution des mères blanches est considérable. Notre population est composé par 60% d'individus qui se disent brancos (selon la recherche de Pena, 55% d'eux ont un sang indigène; 7%, noir), 5,4% de pretos, 34% de pardos et 0,6% d'indígenas et amarelos.

Ne voyez pas dans ma protestation aucun acte raciste; au contraire, je m'oppose à un groupe qui, en profitant d'une occasion, se dit la majorité. Si le Mouvement Noir suggère que tous soient considérés comme des Noirs, pourquoi ne pas considérer tous comme des Indiens? Après tout, nous sommes dans la terre qui leur a été retirée. La solidarité du Mouvement Noir n'a pas laissé des places aux Indiens dans le quota de 20% réservé dans les universités et dans les fonctions fédérales.

Les pretos représent 5,4% de la population, mais on réclame inexplicablement un quota de places quatre fois plus grand que son pourcentage. La plupart de la population, même blanche ou parda, n'accède pas à l'université et au service publique pour les mêmes raisons que les pretos, c'est-à-dire, parce qu'elle est aussi pauvre que ceux-ci. On sait que la richesse brésilienne est aux mains d'une petite partie de la population blanche. Les Blancs représentent la grande majorité de la population (60%), mais la plupart d'eux souffre la misère, malgré la blancheur de sa peau.

Ce qu'il faut c'est l'égalité des chances pour tous, pas de quotas. Un problème de difficile solution, c'est de déterminer qui aura le droit aux places réservés par la nouvelle loi. Quel sera le critère pour la sélection des candidats? Le plus foncé, ira-t-il d'abord? Dans ce cas, le pardo clair, comme le caboclo [11], sera dans une position désavantageuse. Alors, utilisera-t-on l'examen d'ADN? Son coût excède 800 reais; qui le paiera? Deuxième problème: deux frères, un preto et un très clair - les deux, accéderont-ils à la même université (ou au service publique) ou seul le preto y accédera [12]? Cela paraît une comédie de Molière ou d'Otello à l'inverse.

On crée au Brésil une nouvelle taxonomie - les Noirs et les Blancs - et une nouvelle noblesse formé par les Afro-descendants et par les caboclos, avides maintenant d'être "Afros" plutôt que Blancs à cause des 20% de places réservées dans les universités et dans le service publique fédéral. L'État de Rio Grande do Norte sera grandement affecté, puisque la plupart de sa population (65%) est formée par pardos et une minorité de pretos, plus petite que la nationale. Ces mesures peuvent paraître sympatiques aux yeux de l'ONU, mais pour ceux qui sont fiers de porter du sang indigène, elles sonnent comme un outrage.

Diviser pour mieux reigner, disait Machiavel. On reignera confortablement au Brésil car avec l'acceptation de ces prétentions déplacés, le gouvernement du PSDB [13] a déjà divisé la pauvreté entre "ceux qui ont la peau foncée et ceux qui ont la peau claire" et, en donnant des privilèges aux Afro-descendants, on souscitera antipathie des autres groupes, formant la désunion et le peuple désuni sera toujours battu.



*Paru dans DHnet, site vainqueur du Prix USP [Université de São Paulo] pour les Droits de l'Homme en 2002.
Traduit par / traduzido por Marcelo Pereira.



NOTES DU TRADUCTEUR

[1] Movimento Negro en portugais. Le mot negro (que je traduis par noir) a, à la différence de preto, des connotations positives ou neutres.

[2]Le mot negro ne figure pas dans les catégories de "couleur/race" de l'IBGE, le bureau de recensement, contrairement au mot péjoratif preto.

[3] C'est-à-dire bruns. Pardo est un mot vieilli, mais il figure encore dans les catégories de couleur de l'IBGE. Cependant, la plupart des pardos phénotipiquement métis se considèrent morenos (bruns).

[4] Terme ethnique vieilli. "Sous la dénomination peu adéquate de pardos", le médecin et idéologue raciste Raimundo Nina Rodrigues a classifié en 1890 les "métis complexes chez lesquels s'associent les caractères des trois races". Une fois pardo considéré comme une couleur, il est conseillé d'utiliser le terme multiethnique pour désigner ce métis.

[5] En effet, c'est le Programme National de Droit de l'Homme (PNDH)- II qui était en consultation publique entre décembre 2001 et janvier 2002. À la différence du PNDH - I, le PNDH - II propose à l'IBGE " l'adoption d'un critère statistique général considérant les pretos et les pardos comme faisant partie de la population afro-descendante ".

[6] C'est-à-dire, par les trois matrices principales (indigène, noire et blanche).

[7] Le reportage spécial Quem somos nós? (Qui sommes-nous?) de Veja a révélé que rechercheurs de l'État de Minais Gerais ont tracé le profil du Brésilien et ont conclu: "1) nous sommes le pays du métissage ; 2) il y a des Blancs qui sont génétiquement Noirs, et vice versa".

[8]Le Docteur Pena remarque dans "Retrato Molecular do Brasil, Versão 2001" (Homo Brasilis, ed. FUNPEC-PR) que 30% des Brésiliens blancs, c'est-à-dire, 22.189.169 de personnes possèdent des lignages maternels indigènes et ajoute que " si l'on prend en considération les individus pardos et noirs, on peut calculer qu'entre 40 à 50 millions de Brésiliens non amérindiens possèdent un ADN mitochondrial amérindien ".

[9]Je crois qu'il s'agit du pourcentage pour les Blancs, car Sérgio Pena présente dans "Retrato Molecular do Brasil, Versão 2001" les suivants pourcentages (de matrilignages africains) pour les Blancs par région : Nord (15%), Nord-Est (44%), Sud-Est (34%), Sud (12%) et Brésil (28%).

[10]La contribution des "mères noires" est importante. Selon Sérgio Pena et Maria Cátira Bortolini dans Pode a genética definir quem deve se beneficiar das cotas universitárias e demais ações afirmativas?(Estudos Avançados, vol. 18, n° 50, 2004), " 87% des Brésiliens, c'est-à-dire, environ 146 millions de personnes... présentent plus de 10% d'ascendance africaine".

[11]Métis d'origine indigène et blanche.

[12]En interview à la Folha de S. Paulo (26/4/2005), Dione Moura, rapporteuse de la Commission d'Intégration Sociale, Ethnique et Raciale de l'Université de Brasilia (UnB), a déclaré: "Il y aura des cas de fratries dans lesquelles un frère aura l'inscription homologuée et l'autre non ". La presse brésilienne a appelé cette commission "tribunal racial".

[13]Parti de la Sociale Démocratie Brésilienne, le parti du président Cardoso. Cependant, accédé au pouvoir en 2003, Lula a créé le Sécrétariat Spécial de Politiques de Promotion de l'Égalité Raciale (SEPPIR) et a nommé la militante noire Matilde Ribeiro comme secrétaire. La secrétaire (c'est-à-dire, le parti du Président) est favorable aux quotas. "Le meilleure exemple que nous avons relativement à la politique de quotas et à l'action affirmative, c'est le modèle des États Unis", a-t-elle déclaré lors de la cérémonie d'inauguration du SEPPIR . Le modèle "raciale" adopté par le gouvernment de Lula est aussi celui importé des États-Unis: le 20 novembre 2003, Lula a déclaré pendant la commémoration officielle du Jour de la Conscience Noire que "46%" du peuple brésilien est "noir" et que le Brésil est "la deuxième grande nation noire de la planète, plus petite que le Nigéria seulement".